Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 mai 2020, 18-24.531, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 mai 2020




Rejet


Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 441 F-P+B

Pourvoi n° M 18-24.531




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2020

L'association Institut national de l'hygiène et du nettoyage, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 18-24.531 contre l'arrêt rendu le 19 septembre 2018 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à Mme U... V..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de Me Bertrand, avocat de l'association Institut national de l'hygiène et du nettoyage, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme V..., et après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 19 septembre 2018) et les productions, Mme V... a été engagée par l'association Institut national de l'hygiène et du nettoyage industriel (INHNI) à compter du 9 novembre 1998 en qualité d'enseignant formateur.

2. Par lettre du 11 juin 2013, l'employeur a proposé à la salariée une modification de son contrat de travail pour motif économique sur le fondement de l'article L.1222-6 du code du travail, proposition que celle-ci a refusée le 3 juillet suivant. Le 30 juillet 2013, l'employeur a soumis à la salariée deux nouvelles propositions de modification de son contrat de travail que celle-ci a refusées le 15 août 2013.

3. La salariée a été convoquée le 7 octobre 2013 à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique et a accepté le 24 octobre 2013 le contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été remis le 22 octobre 2013.

4. Contestant le motif économique du licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée diverses sommes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que si le salarié doit être informé par écrit des motifs de son licenciement avant la date de l'acceptation de son contrat de sécurisation professionnelle, cette information écrite peut être délivrée avant même que soit engagée la procédure de licenciement ; qu'en considérant que l'association INHNI ne pouvait avoir valablement informé Mme V... du motif économique de son licenciement par le courrier adressé à celle-ci le 30 juillet 2013, au motif que ce courrier avait été remis à la salariée "avant la procédure de licenciement", la cour d'appel s'est déterminée par un motif erroné et a violé les articles L.1233-3, L.1233-16 et L.1233-67 du code du travail ;

2°/ que les juges du fond doivent analyser les éléments de preuve produits sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'étaient versés aux débats un courrier de l'INHNI du 11 juin 2013 qui précisait les conséquences économiques sur le poste de Mme V... de la modification du référentiel du ministère de l'éducation nationale, ainsi que la lettre de réponse du 3 juillet 2013 dans laquelle Madame V... indiquait avoir conscience du fait que son refus de toute proposition "pourrait entraîner un licenciement pour motif économique" et remettait en cause ce motif en ce termes : "pourquoi ce motif économique ?" ; que ces courriers, qui démontraient que l'employeur avait satisfait à son obligation d'information de la salariée sur le motif du licenciement, étaient spécialement invoqués par l'INHNI dans ses conclusions d'appel et étaient versés aux débats par Mme V... ; qu'en affirmant que Mme V... n'avait pas été avertie des motifs de son licenciement avant le 24 octobre 2013, date de l'acceptation de son contrat de sécurisation professionnelle, sans examiner, même sommairement, les courriers des 11 juin et 3 juillet 2013 qui démontraient le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que dans ses conclusions d'appel, l'INHNI invoquait son courrier du 11 juin 2013 et le courrier en réponse de la salariée du 3 juillet 2013, dont la teneur démontrait que Mme V... avait, en temps utile, été informée du motif économique de son licenciement, ce qu'elle admettait expressément dans sa lettre ; qu'en laissant sans réponse ces écritures, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La rupture du contrat de travail résultant de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle doit avoir une cause économique réelle et sérieuse. L'employeur est en conséquence tenu d'énoncer la cause économique de la rupture du contrat dans un écrit remis ou adressé au salarié au cours de la procédure de licenciement et au plus tard au moment de l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par le salarié, afin qu'il soit informé des raisons de la rupture lors de son acceptation.

7. La cour d'appel a constaté qu'aucun écrit énonçant la cause économique de la rupture n'avait été remis ou adressé à la salariée au cours de la procédure de licenciement, les lettres des 11 juin et 30 juillet 2013 ayant été adressées à celle-ci lors de la procédure spécifique de modification de son contrat de travail. Elle en a exactement déduit que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation légale d'informer la salariée du motif économique de la rupture et que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'association Institut national de l'hygiène et du nettoyage industriel aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'association Institut national de l'hygiène et du nettoyage industriel à payer à Mme V... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, signé par Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président en ayant délibéré en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour l'association Institut national de l'hygiène et du nettoyage

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir décidé que le licenciement de Mme V... était dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné l'association INHNI à lui payer les sommes de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 6.423,60 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 642,36 euros au titre des congés payés afférents et ordonné le remboursement par l'association INHNI à Pôle Emploi des indemnités de chômage susceptibles d'avoir été perçues par Mme V... dans la limite de trois mois ;

AUX MOTIFS QU' en application de l'article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige doit énoncer de façon précise les motifs du licenciement ainsi que les démarches entreprises en vue du reclassement du salarié ; lorsque le contrat de travail est rompu du commun accord des parties du fait de l'adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle en application de l'article L. 233-67 du code du travail, l'exigence tenant à l'information du salarié des motifs précis de son licenciement demeure et cette information doit prendre la forme d'un document écrit remis au salarié au plus tard au moment de l'acceptation de la convention ; l'absence de toute information formalisée dans un écrit remis au salarié quant aux motifs de son licenciement préalablement à l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle ne peut être régularisée ultérieurement ; en effet, le salarié doit être en mesure de prendre la décision d'adhérer ou non au contrat en parfaite connaissance des motifs de son licenciement qui doivent être définitivement fixés dans un document écrit ; il appartient en conséquence à l'employeur de justifier qu'il a porté à la connaissance de son salarié les motifs précis de son licenciement économique, les répercussions de ces difficultés sur son emploi et les démarches entreprises en vue de son reclassement avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle ; à défaut, le licenciement du salarié est dénué de cause réelle et sérieuse ; lorsqu'un document écrit a été remis au salarié lors de la procédure spécifique de modification de son contrat de travail, précisant le motif économique de cette modification, mais qu'aucun écrit énonçant la cause économique de la rupture ne lui a été remis ou adressé au cours de la procédure de licenciement et avant son acceptation du CSP, le licenciement est également dépourvu de cause réelle et sérieuse ; en l'espèce, ni la convocation à l'entretien préalable du 22 octobre 2013, ni la proposition d'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle signée le 24 octobre 2013 ne porte à la connaissance de Mme U... V... les motifs de son licenciement avant son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle ; les éléments contenus dans le courrier de proposition du 30 juillet 2013, remis avant la procédure de licenciement, ne sont pas suffisants et ne permettent pas à l'employeur de répondre à son obligation d'information de la cause économique de la rupture du contrat de travail ; au surplus, le seul procès-verbal du comité d'entreprise extraordinaire du 2 juillet 2013 versé au débat et pour lequel Mme G... K..., directrice du CFA, atteste de sa remise à Mme U... V... lors de l'entretien, est insuffisant pour permettre de porter à la connaissance de la salariée les motifs précis et individualisés de son licenciement économique et les répercussions de ces difficultés sur son emploi ; les explications verbales échangées lors de l'entretien préalable ne peuvent suppléer à l'exigence d'un écrit qui au surplus fixe définitivement les motifs du licenciement entre l'employeur et le salarié ; il en est de même pour les écrits remis au salarié postérieurement à l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, y compris pendant le délai de réflexion, de sorte que le mail de Mme S... N..., directrice des ressources humaines, du 5 novembre 2013, adressé à Mme U... V... ne peut être recevable en ce qu'il est postérieur à l'acceptation par la salariée du contrat de sécurisation professionnelle survenu le 24 octobre 2013 ; en conséquence, la cour constate que lors de l'adhésion de Mme U... V... au contrat de sécurisation professionnelle, il n'avait pas été satisfait à l'exigence de motivation spécifique du licenciement dans aucun des documents remis à la salariée au cours de la procédure de licenciement, ni d'ailleurs auparavant, au stade de la seule modification du contrat de travail ; dès lors, et sans qu'il soit nécessaire d'apprécier les moyens tirés de la réalité et du sérieux des motifs du licenciement économique de Mme U... V... et du non-respect de l'obligation de reclassement par l'employeur, la cour juge, par infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, que le licenciement de Mme U... V... est dépourvu de cause réelle et sérieuse faute de document contenant l'énonciation des motifs du licenciement économique remis avant ou concomitamment à l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par la salariée (arrêt attaqué pp. 4-5-6) ;

ALORS, d'une part, QUE si le salarié doit être informé par écrit des motifs de son licenciement avant la date de l'acceptation de son contrat de sécurisation professionnelle, cette information écrite peut être délivrée avant même que soit engagée la procédure de licenciement ; qu'en considérant que l'association INHNI ne pouvait avoir valablement informé Mme V... du motif économique de son licenciement par le courrier adressé à celle-ci le 30 juillet 2013, au motif que ce courrier avait été remis à la salariée « avant la procédure de licenciement», la cour d'appel s'est déterminée par un motif erroné et a violé les articles L.1233-3, L.1233-16 et L.1233-67 du code du travail ;

ALORS, d'autre part, QUE les juges du fond doivent analyser les éléments de preuve produits sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'étaient versés aux débats un courrier de l'INHNI du 11 juin 2013 qui précisait les conséquences économiques sur le poste de Mme V... de la modification du référentiel du ministère de l'éducation nationale, ainsi que la lettre de réponse du 3 juillet 2013 dans laquelle Madame V... indiquait avoir conscience du fait que son refus de toute proposition « pourrait entraîner un licenciement pour motif économique » et remettait en cause ce motif en ce termes : « pourquoi ce motif économique ? » ; que ces courriers, qui démontraient que l'employeur avait satisfait à son obligation d'information de la salariée sur le motif du licenciement, étaient spécialement invoqués par l'INHNI dans ses conclusions d'appel (p. 9) et étaient versés aux débats par Mme V... (production n° 4 : bordereau des pièces communiquées par la salariée) ; qu'en affirmant que Mme V... n'avait pas été avertie des motifs de son licenciement avant le 24 octobre 2013, date de l'acceptation de son contrat de sécurisation professionnelle, sans examiner, même sommairement, les courriers des 11 juin et 3 juillet 2013 qui démontraient le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, enfin, QUE dans ses conclusions d'appel (p. 9), l'INHNI invoquait son courrier du 11 juin 2013 et le courrier en réponse de la salariée du 3 juillet 2013, dont la teneur démontrait que Mme V... avait, en temps utile, été informée du motif économique de son licenciement, ce qu'elle admettait expressément dans sa lettre ; qu'en laissant sans réponse ces écritures, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2020:SO00441
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