Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 11 avril 2019, 18-16.121, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 février 2018), que la société Manoir Aérospace, locataire commercial de différents sites industriels, a fait apport partiel de différentes branches de son activité exercée sur ces sites aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres constituées à cet effet ; que, le 28 décembre 2012, la société Kalkalit Blade, propriétaire bailleur des sites, a assigné Mme I..., en qualité de mandataire liquidateur de la société Manoir Custines, et les autres sociétés bénéficiaires des apports, ainsi que la société Manoir Aérospace, les premières en paiement des loyers et charges dus et la dernière en garantie solidaire ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Lisi Aerospace Forged Integrated Solutions, venant aux droits de la société Manoir Aerospace, fait grief à l'arrêt de dire qu'elle reste garant, solidairement avec les sociétés bénéficiaires des apports, du paiement des loyers et charges au titre des baux commerciaux jusqu'à leur date d'expiration, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge doit respecter la loi des parties ; que la cour d'appel a elle-même relevé que les baux commerciaux avaient été transférés par la société Manoir Aerospace aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres par le biais d'un apport partiel d'actif et non par le biais d'une cession ; qu'en jugeant pourtant que la garantie consentie par la société Manoir Aerospace, qui ne devait jouer qu'en cas de cession de son fonds de commerce ou de tout ou partie de son entreprise, devait être appliquée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que toute partie peut renoncer à un droit dont elle a la libre disposition ; que la cour d'appel a jugé que les stipulations des traités d'apport partiel d'actif excluant toute garantie par la société Manoir Aerospace des entités nouvellement créées n'étaient pas opposables à la société Kalkalit, en raison de l'effet relatif des contrats ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Kalkalit n'avait pas, non seulement en ne s'opposant pas à la réalisation des contrats d'apport partiel d'actif qui avaient été publiés et qui lui avaient été notifiés, mais encore en participant de manière active à la réalisation de l'opération par le biais de la conclusion d'avenants aux baux commerciaux d'origine ayant pour objet d'entériner la nouvelle configuration juridique régissant dorénavant les relations contractuelles entre les parties, renoncé à la garantie solidaire stipulée dans les actes antérieurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'article 7.1 des baux commerciaux se bornait à prévoir que le preneur resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges « dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante » et à préciser les critères relatifs à la notion de « surface financière suffisante » ; qu'en jugeant qu'il résultait d'une telle clause qu'elle faisait peser sur le cédant la charge de prouver que le cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante, la cour d'appel a dénaturé ces baux commerciaux, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ qu'il appartient à celui qui réclame le bénéfice d'une garantie contractuelle de prouver que sont réunies les conditions de mise en oeuvre de cette garantie ; que l'article 7.1 des baux commerciaux stipulant que le preneur ne resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges que « dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante , il appartenait au bailleur, qui réclamait le bénéfice de cette garantie, de prouver que le cessionnaire n'avait pas eu une surface financière suffisante ; qu'en jugeant au contraire qu'il appartenait au cédant de démontrer que le cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante, et en lui reprochant de ne pas rapporter une telle preuve, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la clause 7.1, alinéa 1, des baux conclus entre la société Kalkalit Blade et la société Manoir Aerospace pour chacun des sites industriels stipulait que le preneur pourrait librement céder son droit au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de tout ou partie de son entreprise et que la société Manoir Aérospace avait, par traités d'apport partiel d'actifs placé sous le régime des scissions, cédé les droits au bail aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres, devenues titulaires de plein droit des baux, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche non demandée sur la renonciation du bailleur, a pu en déduire que la clause s'appliquait dans le cas de cessions du droit au bail par voie d'apport partiel d'actifs ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que la clause 7.1, alinéa 2, stipulait qu'en cas de cession, le preneur resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir du bail à compter de la date de cession mais seulement dans l'hypothèse où le cessionnaire n'aurait pas une surface financière suffisante, la cour d'appel a souverainement retenu, sans dénaturation ni inversion de la charge de la preuve, que la société cédante ne démontrait pas que la société cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Lisi Aerospace Forged Integrated Solutions, venant aux droits de la société Manoir Aerospace, fait grief à l'arrêt de déclarer inapplicable la limitation de garantie prévue par l'article L. 145-16-2 du code de commerce, alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, prévoyant que lorsque la cession du bail commercial s'accompagne d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l'invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, est un texte d'ordre public qui s'applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ; qu'en jugeant au contraire que ce texte n'est pas une disposition impérative applicable aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur, la cour d'appel l'a violé, ensemble l'article 2 du code civil ;

2°/ que la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ; que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, qui limite dans le temps la garantie donnée par le cédant au bailleur, encadre une situation juridique relevant du statut légal des baux commerciaux, qui a pris naissance avant l'entrée en vigueur de la loi et qui n'est pas définitivement réalisée, de sorte que le texte doit immédiatement être appliqué aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16-2 du code de commerce, ensemble l'article 2 du code civil ;

3°/ que la loi qui réduit la durée d'un délai de prescription ou de forclusion est immédiatement applicable ; que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, prévoyant que lorsque la cession du bail commercial s'accompagne d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci « ne peut l'invoquer » que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, instaure un délai de forclusion ou de prescription, plus court que le délai de droit commun antérieur ; qu'en jugeant le contraire pour refuser de faire application du texte, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16-2 du code de commerce, ensemble l'article 2222 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, d'une part, que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, qui revêt un caractère d'ordre public, ne répond pas à un motif impérieux d'intérêt général justifiant son application immédiate, d'autre part, que la garantie solidaire, dont ce texte limite la durée à trois ans, ne constitue pas un effet légal du contrat mais demeure régie par la volonté des parties, la cour d'appel en a exactement déduit que ce texte n'était pas immédiatement applicable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Lisi Aerospace Forged Integrated Solutions, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Lisi Aerospace Forged Integrated Solutions et la condamne à payer à la société Kalkalit Blade la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Manoir Aérospace aux droits de laquelle vient la société Lisi Aérospace Forged Integrated solutions.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que la société Manoir Aerospace reste garant solidairement avec les sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres du paiement des loyers et charges au titre de leurs baux commerciaux jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir de ces baux,

AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article 7.1, intitulé « cession » contenu dans les contrats de bail commercial conclus le 28 décembre 2007 et le 19 février 2008 entre la société Kalkalit Blade et la société Manoir Industrie devenue la société Manoir Aérospace pour les sites de Custines, Bouzonvile, Pitres et Saint Brieuc prévoit une clause de garantie solidaire ainsi libellée : « Le preneur pourra librement céder son droit au présent bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise, ou d'une partie, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'agrément préalable du bailleur sur l'identité de l'acquéreur. Il est ici précisé qu'en cas de cession du droit au bail, les engagements contenus dans le protocole d'information signé ce jour seront repris par les cessionnaires successifs du bail en leur qualité de nouveau preneur-exploitant des locaux loués. Dans ce cas, le preneur restera garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges au titre du présent bail jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir du bail à compter de la date de cession mais seulement dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante (...) » ; que cet article précise, par ailleurs, les critères notamment financiers permettant d'établir l'existence d'une « surface financièrement suffisante » ; que par actes du 28 décembre 2012, la société Manoir Industries devenue Manoir Aérospace a procédé à des apports partiels d'actif de ses branches d'activité à plusieurs sociétés qui ont été constituées en septembre 2012 pour réaliser ces apports ; qu'ainsi, la société Manoir Custines a reçu en apport partiel d'actif le site de Custines, la société Manoir Saint Brieuc a reçu en apport partiel le site de Saint Brieuc, la société Manoir Bouzonville a reçu en apport partiel d'actif le site de Bonzonville et la société Manoir Pitres a reçu en apport partiel d'actif le site de Pitres ; que dans le cadre de ces apports partiels d'actif, les sociétés nouvellement constituées sont « venue(s) aux droits et obligations de la société Manoir Industrie dans l'exécution et le respect du contrat de bail et ce, conformément aux dispositions des articles L. 145-16 et suivants du code de commerce comme cela est rappelé dans les avenants conclus le décembre 2007 entre la société Kalkalit Blade, la société Manoir Industries et chacune des nouvelles sociétés » ; que l'article L. 145-16 du code de commerce dispose que : « sont également réputées non écrites quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise. En cas de fusion de sociétés ou d'apport d'une partie de l'actif d'une société réalisé dans les conditions prévues à l'article L. 236-22, la société issue de la fusion ou la société bénéficiaire de l'apport est, nonobstant toute stipulation contraire, substituée à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous ses droits et obligations découlant de ce bail. En cas de cession, de fusion ou d'apport, si l'obligation de garantie ne peut plus être assurée dans les termes de la convention, le tribunal peut y substituer toutes garanties qu'il juge suffisantes » ; que la société Manoir Aérospace soutient que l'article des baux ne s'applique qu'en cas de cession de baux et non en cas d'apports partiels d'actifs, que ces deux notions sont exclusives l'une de l'autre et que les contrats d'apport partiel excluent toute solidarité entre elle et les sociétés bénéficiaires ; qu'il n'est pas contestable que l'apport partiel d'actif a entraîné le transfert des contrats de baux au profit des sociétés bénéficiaires ; que certes, il ne s'agit pas d'une cession au strict sens du terme puisqu'elle n'est pas soumise à l'article 1690 de code civil s'agissant d'une scission ; que pour autant, vis à vis du bailleur elle en produit les effets, puisque le bénéficiaire de la scission devient titulaire du bail ; que dans ces conditions, la clause 7.1 des baux doit recevoir application, le preneur demeurant solidairement tenu avec le nouveau titulaire du bail envers le bailleur ; qu'il importe peu que les contrats d'apport prévoient à l'article 5.7 pour Manoir Custines, pour Manoir Saint Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres que « Manoir Custines (...) sera subrogée purement et simplement dans le bénéfice et charge de tous les baux (...) de la branche d'activité apportée en cours à la date de réalisation. En conséquence Manoir Custines paiera toutes les redevances, annuités ou loyers afférents à ces conventions pour ceux qui lui incombent à compter de la date de réalisation exécutera toutes les clauses, charges et conditions en résultant, le tout de manière à ce que (Manoir Aérospace) ne puisse être inquiétée, ni recherchée à ce titre » ; que cette clause en raison de l'effet relatif des contrats n'est pas opposable au tiers qu'est la société Kalkanit Blade ; que de même il importe peu qu'aux termes de l'article L. 236-21 du code de commerce « il peut être stipulé que les sociétés bénéficiaires de la scission ne seront tenues que de la partie du passif de la société scindée mise à la charge respective et sans solidarité entre elles », puisqu'il s'agit de la transmission des dettes de la société absorbée qui n'est pas en cause en l'espèce,

ET AUX MOTIFS PARTIELLEMENT ADOPTES QUE l'article L. 145-16 du code de commerce dispose : « Sont également réputées non écrites, quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise. En cas de fusion ou de scission de sociétés, en cas de transmission universelle de patrimoine d'une société réalisée dans les conditions prévues à l'article 1844-5 du code civil ou en cas d'apport d'une partie de l'actif d'une société réalisé dans les conditions prévues aux articles L. 236-6-1, L. 236-22 et L. 236-24 du présent code, la société issue de la fusion, la société désignée par le contrat de scission ou, à défaut, les sociétés issues de la scission, la société bénéficiaire de la transmission universelle de patrimoine ou la société bénéficiaire de l'apport sont, nonobstant toute stipulation contraire, substituées à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail. En cas de cession ou dans les cas prévus au deuxième alinéa, si l'obligation de garantie ne peut plus être assurée dans les termes de la convention, le tribunal peut y substituer toutes garanties qu'il juge suffisantes » ; qu'il est inopérant de se prévaloir des dispositions de l'alinéa 3 traitant des cas où « l'obligation de garantie ne peut plus être assurée dans les termes de la convention » puisqu'elles concernent l'hypothèse où la société locataire d'origine disparaît, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la société Manoir Aerospace existant toujours ; que l'article 7.1, intitulé « cession » contenu dans les contrats de bail commercial conclus le 28 décembre 2007 et le 19 février 2008 entre la société Kalkalit Blade et la société Manoir Industrie devenue la société Manoir Aerospace pour les sites de Custines, de Bouzonvile, de Pitres et de Saint Brieuc prévoit une clause de garantie solidaire ainsi libellée : « Le preneur pourra librement céder son droit au présent bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise, ou d'une partie, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'agrément préalable du bailleur sur l'identité de l'acquéreur. Il est ici précisé qu'en cas de cession du droit au bail, les engagements contenus dans le protocole d'information signé ce jour seront repris par les cessionnaires successifs du bail en leur qualité de nouveau preneur-exploitant des locaux loués. Dans ce cas, le preneur restera garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges au titre du présent bail jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir du bail à compter de la date de cession mais seulement dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante (...) » ; que cet article précise, par ailleurs, les critères notamment financiers permettant d'établir l'existence d'une « surface financièrement suffisante » ; qu'en l'espèce, par actes du 28 décembre 2012, la société Manoir Industrie devenue Manoir Aerospace a procédé à des apports partiels d'actif de ses branches d'activité à plusieurs sociétés qui ont été constituées en septembre 2012 pour réaliser ces apports ; qu'ainsi la SAS Manoir Custines a reçu au titre en apport partiel d'actif le site de Custines, la SAS Manoir Saint-Brieuc a reçu en apport partiel d'actif le site de Saint-Brieuc, la SAS Manoir Bouzonville a reçu en apport partiel d'actif le site de Bouzonville et la société Manoir Pitres a reçu en apport partiel d'actif le site de Pitres ; que dans le cadre de ces apports partiels d'actif, les sociétés nouvellement créées sont « venue(s) aux droits et obligations de la société Manoir Industrie dans l'exécution et le respect du contrat de bail et ce conformément aux articles L. 145-16 et suivants du code de commerce » comme cela est rappelé notamment dans les avenants conclus le 28 décembre 2007 entre la société Kalkalit Blade, la société Manoir Industrie et chacune de ces nouvelles sociétés ; que par acte d'huissier des 8 avril 2015 et 4 mai 2015, la société Kalkalit Blade n'ayant pas obtenu le règlement des loyers par les locataires actuelles, a fait délivrer des sommations de payer à la société Manoir Aerospace en sa qualité de cédante aux fins de voir payer le solde des loyers ; que par acte d'huissier du 22 avril et du 22 mai 2015 la société Manoir Aerospace a délivré à la société Kalkalit Blade des réponses à sommation de payer refusant de payer les sommes réclamées en estimant qu'elle n'avait pas cédé les baux aux différentes sociétés locataires mais que celles-ci s'étaient substitué de plein droit à elle ; que les dispositions de l'article L. 145-16, selon lesquelles la société bénéficiaire de l'apport partie d'actif est nonobstant toute stipulation contraire substituée à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail, visent à imposer la transmission du droit au bail dans ces hypothèses mais n'impliquent pas que les dispositions contractuelles relatives à la garantie du cessionnaire seraient inapplicables dans ces hypothèses alors qu'au contraire, ces opérations entraînent corrélativement cession du bail ; que la clause de garantie de l'article 7 précité vise la cession du bail du preneur initial tant au profit de l'acquéreur de son fonds de commerce qu'au profit de l'acquéreur de tout ou partie « de son entreprise » et prévoit pour ces deux hypothèses la garantie du preneur initial avec son cessionnaire pour le paiement des loyers et charges jusqu'à la fin du bail restant à courir ; qu'en l'espèce, les contrats de bail ont été cédés corrélativement aux opérations d'apport partiel d'actif par la société Manoir Industrie devenue Manoir Aerospace ; que ces opérations constituent d'ailleurs des « cessions partielles d'entreprise » telles que visées à l'article 7 précité ; que dès lors, la garantie prévue à cet article s'applique si le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante ; qu'il résulte de la rédaction de cette stipulation que c'est au cédant qui entend se libérer de son obligation de garantie qu'incombe l'obligation de démontrer que le cessionnaire dispose d'une garantie financière suffisante ; qu'or cette démonstration n'est pas faite ; qu'il convient donc de dire que la société Manoir Aerospace reste garante solidairement avec les sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres du paiement des loyers et charges au titre de leurs baux commerciaux jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir de ces baux,

1- ALORS QUE le juge doit respecter la loi des parties ; que la cour d'appel a ellemême relevé que les baux commerciaux avaient été transférés par la société Manoir Aerospace aux sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres par le bais d'un apport partiel d'actif et non par le bais d'une cession ; qu'en jugeant pourtant que la garantie consentie par la société Manoir Aerospace, qui ne devait jouer qu'en cas de cession de son fonds de commerce ou de tout ou partie de son entreprise, devait être appliquée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du février 2016.

2- ALORS en tout état de cause QUE toute partie peut renoncer à un droit dont elle a la libre disposition ; que la cour d'appel a jugé que les stipulations des traités d'apport partiel d'actif excluant toute garantie par la société Manoir Aerospace des entités nouvellement créées n'étaient pas opposables à la société Kalkalit, en raison de l'effet relatif des contrats ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Kalkalit n'avait pas, non seulement en ne s'opposant pas à la réalisation des contrats d'apport partiel d'actif qui avaient été publiés et qui lui avaient été notifiés, mais encore en participant de manière active à la réalisation de l'opération par le biais de la conclusion d'avenants aux baux commerciaux d'origine ayant pour objet d'entériner la nouvelle configuration juridique régissant dorénavant les relations contractuelles entre les parties, renoncé à la garantie solidaire stipulée dans les actes antérieurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

3- ALORS QUE le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'article 7.1 des baux commerciaux se bornait à prévoir que le preneur resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges « dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante » et à préciser les critères relatifs à la notion de « surface financière suffisante » ; qu'en jugeant qu'il résultait d'une telle clause qu'elle faisait peser sur le cédant la charge de prouver que le cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante, la cour d'appel a dénaturé ces baux commerciaux, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.

4- ET ALORS QU'il appartient à celui qui réclame le bénéfice d'une garantie contractuelle de prouver que sont réunies les conditions de mise en oeuvre de cette garantie ; que l'article 7.1 des baux commerciaux stipulant que le preneur ne resterait garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges que « dans l'hypothèse où le cessionnaire n'a pas une surface financière suffisante », il appartenait au bailleur, qui réclamait le bénéfice de cette garantie, de prouver que le cessionnaire n'avaient pas eu une surface financière suffisante ; qu'en jugeant au contraire qu'il appartenait au cédant de démontrer que le cessionnaire disposait d'une surface financière suffisante, et en lui reprochant de ne pas rapporter une telle preuve, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la société Manoir Aerospace reste garant solidairement avec les sociétés Manoir Custines, Manoir Saint-Brieuc, Manoir Bouzonville et Manoir Pitres du paiement des loyers et charges au titre de leurs baux commerciaux jusqu'à l'expiration de la durée restant à courir de ces baux et d'AVOIR déclaré inapplicable en l'espèce la limitation de garantie prévue par l'article L. 145-16-2 du code de commerce,

AUX MOTIFS QU'à titre subsidiaire, la société Manoir Aérospace demande qu'en application de l'article L 145-16-2 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, sa garantie soit limitée à trois ans à compter des apports partiels d'actifs, soit pour la période allant du 28 décembre 2012 au 28 décembre 2015 ; que les parties s'opposent en ce qui concerne l'application de cet article ; qu'il est constant que cet article n'a pas fait l'objet de disposition transitoire spécifique ; qu'en matière contractuelle, les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle doivent en principe être soumis à la loi ancienne, sauf s'il s'agit de disposition impérieuse d'intérêt général ou en vertu des effets légaux du contrat ; que l'article L. 145-16-2 susvisé n'est pas une disposition impérative puisqu'elle ne figure pas à l'article L. 145-15 dudit code ; qu'il ne s'agit donc pas d'une disposition impérieuse d'intérêt général entraînant son application immédiate ; que par ailleurs, il ne peut davantage être soutenu que ce texte serait d'application immédiate comme relevant des effets légaux du contrat ; que le texte ne porte pas sur une prérogative inhérente au statut légal des baux commerciaux, mais sur un mécanisme contractuel qui relève de la volonté des parties ; qu'il en résulte que la loi nouvelle ne peut trouver à s'appliquer immédiatement à cet effet contractuel du bail ; que contrairement à ce que soutient la société Manoir Aerospace, il ne s'agit pas de mettre en oeuvre un délai de prescription plus court que celui prévu par une loi ancienne, mais de faire application à un contrat conclu avant son entrée en vigueur, du plafonnement de la durée de la clause de garantie solidaire ; que dès lors, il n'y a pas lieu de faire application en l'espèce de cette limitation de garantie,

1- ALORS QUE l'article L. 145-16-2 du code de commerce, prévoyant que lorsque la cession du bail commercial s'accompagne d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci ne peut l'invoquer que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, est un texte d'ordre public qui s'applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ; qu'en jugeant au contraire que ce texte n'est pas une disposition impérative applicable aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur, la cour d'appel l'a violé, ensemble l'article 2 du code civil.

2- ALORS QUE la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ; que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, qui limite dans le temps la garantie donnée par le cédant au bailleur, encadre une situation juridique relevant du statut légal des baux commerciaux, qui a pris naissance avant l'entrée en vigueur de la loi et qui n'est pas définitivement réalisée, de sorte que le texte doit immédiatement être appliqué aux baux commerciaux conclus avant son entrée en vigueur ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16-2 du code de commerce, ensemble l'article 2 du code civil.

3- ALORS, à tout le moins, QUE la loi qui réduit la durée d'un délai de prescription ou de forclusion est immédiatement applicable ; que l'article L. 145-16-2 du code de commerce, prévoyant que lorsque la cession du bail commercial s'accompagne d'une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur, celui-ci « ne peut l'invoquer » que durant trois ans à compter de la cession dudit bail, instaure un délai de forclusion ou de prescription, plus court que le délai de droit commun antérieur ; qu'en jugeant le contraire pour refuser de faire application du texte, la cour d'appel a violé l'article L. 145-16-2 du code de commerce, ensemble l'article 2222 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2019:C300301
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