15/01/2020

Les données de santé : une mine d’or pour l’économie française ?

Santé connectée et monétisation des données médicales – Logiciels d’e-santé, applications mobiles, objets connectées : les nouvelles technologies qui collectent massivement nos données de santé envahissent notre quotidien.  Les projets dans ce secteur sont de plus en plus nombreux et concernent aussi bien la prise en charge médicale des patients que l’amélioration du bien-être de l’utilisateur.

Les possibilités de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé sont immenses et les technologies intelligentes sont destinées à prendre de plus en plus de place dans la prise en charge des patients. Selon une étude du cabinet Deloitte[1], 52% des français sont prêts à confier leur santé à des outils d’intelligence artificielle pour l’interprétation d’analyses médicales (prise de sang, analyse d’urine etc.).

D’un point de vue juridique, les données de santé sont considérées comme des données sensibles ou particulières en raison de leur nature et de l’impact sur la vie privée des personnes et font dès lors l’objet d’une protection particulière. Ces données représentent également un enjeu économique majeur puisque leur exploitation est indispensable à l’innovation en matière médicale et au développement de technologies intelligentes permettant d’importants progrès dans le domaine de la santé, mais aussi de l’économie.

A ce titre, les acteurs du Big Data s’intéressent d’ores et déjà à la monétisation des données de santé et investissent massivement dans le développement de projets de santé connectée, plus ou moins secrets, et plus ou moins respectueux de la protection des données.

Selon la chaîne CNBC, Amazon aurait mis en place une division dénommée « 1482 », destinée au recrutement de spécialistes de la santé connectée. De son côté, Apple a d’ores et déjà mis au point une fonctionnalité dénommée « Apple Health Records » qui permet aux utilisateurs de consulter leurs dossiers médicaux, leurs prescriptions de médicaments, leurs résultats de laboratoire depuis leur smartphone.

Plus, récemment, le Wall Street Journal et le Guardian ont révélé l’existence d’une collaboration entre Google et du groupement hospitalier américain Ascension qui porterait sur le développement d’un outil mettant en œuvre l’intelligence artificielle de Google afin de faciliter la prise en charge médicale et administrative des patients. Suite à la révélation de ce projet, dénommé « projet Nightingale », le Département de la Santé et des Services Sociaux américain (HHS) a ouvert une enquête pour s’assurer que les protections nécessaires étaient pleinement mises en œuvre et que le cadre juridique était respecté.

En Europe, les acteurs de l’e-santé se développent également mais le manque de données aisément accessibles freine parfois leur progression.

 

La valorisation des données de santé en France – Grâce à son système de santé et la mise en place de larges bases de données, la France a réussi à constituer des outils regroupant et centralisant les données médicales d’une multitude de patients.

Notamment, le système national d’information interrégimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) centralise, dans une base unique, les données de liquidation des bénéficiaires des régimes d’assurance maladie obligatoire. Dans un rapport de 2016[2], la Cour des comptes affirme que le SNIIRAM constitue une base de données médico-administratives « sans équivalent en Europe, au regard du nombre de personnes concernées et de la diversité des données disponibles ». Dans ce même rapport, la Cour des comptes regrette que cette base « aux potentialités considérables en matière de santé publique, de recherche, d’efficience du système de soins et de maîtrise des dépenses » ne soit pas exploitée au maximum de ses potentialités.

Fort de ce constat, et conscient des enjeux qui entourent le développement de l’e-santé, le gouvernement français s’intéresse tout particulièrement à la réutilisation et à la valorisation des données collectées dans un cadre médical.

La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a créé le Système National des Données de Santé (SNDS) qui rassemble des bases de données en santé déjà existantes (bases de l’assurance maladie (SNIIRAM), des hôpitaux, des causes de décès et des données liées au handicap). La création du SNDS participe également de la volonté d’ouvrir l’accès aux données de santé afin que leurs potentialités soient utilisées au mieux dans l’intérêt de la collectivité.

Au mois de mars 2019, un plan « intelligence artificielle » a également été lancé avec pour ambition de faire de la France un leader dans ce domaine, et notamment dans le secteur de la santé.

 

Health data hub : La plateforme de mise à disposition des données de santé – C’est dans ce contexte que le Health Data Hub a officiellement été créé le 30 novembre 2019[3]. L’objectif de cette plateforme est de centraliser les bases de données de santé disponibles afin de favoriser leur mise à disposition et leur utilisation par des entités publiques ou privées à des fins de recherche. Cette initiative, qui a vocation à être étendue à l’ensemble des bases de données de santé réutilisées à des fins de recherche ou d’étude, est initiée sur le SNDS.  L’idée est de multiplier les possibilités d’exploitation des données collectées auprès des patients afin, notamment, de permettre l’entrainement de technologies médicales basées sur l’intelligence artificielle.

Le Health Data Hub remplace le groupement d’intérêt public anciennement dénommé « Institut national des données de santé » et prend le nom de « Plateforme des Données de Santé ». Grâce à cette plateforme et l’exploitation des données de santé qu’elle rassemble, le gouvernement français entend promouvoir l’innovation dans le domaine de la santé et le développement de technologies médicales intelligentes.

L’idée qui anime ce projet est la suivante : les données de santé financées par la solidarité nationale constituent un patrimoine commun qui doit pouvoir être exploité à des fins de recherche par des entités publiques et/ou privées.

L’utilisation massive des données de santé collectées dans le cadre médical n’est pourtant pas sans risque et ne doit pas être opérée au détriment de la vie privée des personnes, en dehors de tout cadre garant de la protection des patients.

 

La protection des données des patients – L’enjeu de ce projet réside dans la conciliation de l’innovation médicale et du droit des patients sur leurs données. Le maintien de la confiance des patients quant à l’utilisation de leurs données nécessite une totale transparence ainsi que la mise en place de garanties suffisantes.

Le Health Data Hub entend assurer un respect total de la vie privée des usagers du système de santé et a notamment pour objectif d’informer les patients, de promouvoir et de faciliter leurs droits, en particulier concernant le droit d’opposition. Le Heath Data Hub a également pour objectif de contribuer à l’élaboration, par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), de référentiels et de méthodologies de référence et de contribuer à diffuser les normes de standardisation pour l’échange et l’exploitation des données de santé, en tenant compte des standards européens et internationaux en matière de protection des données.

Le communiqué de presse du ministère des Solidarités et de la Santé du 2 décembre 2019[4] annonçant la création officielle du Health Data Hub, souligne également que « cette plateforme bénéficie d’un haut degré de sécurité et ne pourra conserver que des données non-nominatives ».

Les données de santé contenues dans la plateforme devront donc être, a minima, pseudonymisées. Cependant, en l’absence de réelle anonymisation des données, la possibilité de croiser les données de la base avec des informations publiques ou d’autres données collectées via une application mobile par exemple, comporte nécessairement un risque d’identification ou de ré-identification de la personne.

De même, le stockage et le partage de ces données pose également question, ainsi que l’hébergement de la plateforme qui doit être assuré par un hébergeur de données de santé (HDS), et suppose le respect de conditions particulières faisant l’objet d’un certificat de conformité ou d’un agrément ministériel.

L’accès au Health Data Hub nécessite que le projet de recherche présente un intérêt public et soit soumis à une demande d’autorisation auprès de la CNIL. A ce jour, dix projets pilotes ont été sélectionnés pour leur qualité scientifique ainsi que leurs retombées en termes d’amélioration du système de santé. Ces premiers projets débuteront dès le premier trimestre 2020 et devraient permettre de tester la première version du catalogue de données de la plateforme du Health Data Hub.

Ainsi, s’il est bien entendu nécessaire d’encourager l’évolution de la recherche, notamment le développement de technologies médicales intelligentes, cela ne doit pas être au détriment de la vie privée des individus. Il est donc impératif qu’un contrôle strict de l’accès et de l’exploitation des données contenues dans cette plateforme soit opéré au fur et à mesure de son développement.

 

[1] Etude santé 2019 publiée par le Cabinet Deloitte

[2] Les données personnelles de santé gérées par l’assurance maladie – mars 2016 – Rapport de la Cour des comptes

[3] Arrêté du 29 novembre 2019 portant approbation d’un avenant à la convention constitutive du groupement d’intérêt public « Institut national des données de santé » portant création du groupement d’intérêt public « Plateforme des données de santé »

[4] https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/communique-de-presse-agnes-buzyn-health-data-hub-officiellement-cree-lundi-2