15/01/2020

Saga Vente-Privee : Suite et fin ? Annulation pour dépôt frauduleux de la marque vente-privee

Le 3 octobre 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a prononcé la nullité de la marque française « Vente-privee » pour dépôt frauduleux[1]. Un nouveau rebondissement dans la saga judiciaire qui oppose la société Vente-privee.com à son principal concurrent, la société Showroomprive.com, depuis plusieurs années.

Au cours de l’année 2016, la société Showroomprive.com a fait assigner la société Vente-privee.com devant le Tribunal de grande instance de Paris en annulation de la marque semi-figurative française  n° 4 055 655, déposée le 18 décembre 2013, en classes 35, 38 et 41.

Logo de la marque Vente-privee.com

La société Showroomprive.com sollicitait la nullité de la marque de son concurrent sur le terrain du défaut de distinctivité mais également, et de façon plus originale, sur le terrain du dépôt frauduleux.

Sur le caractère distinctif de la marque, la société Showroomprive.com fait valoir que le terme « Vente privée » est descriptif en ce qu’il constitue la désignation habituelle et générique de l’activité de ventes de biens de marque en déstockage, pour une durée limitée et s’adressant à un public restreint et invité.

Le Tribunal accueille cet argument et considère qu’« il y a lieu de retenir que la marque constitue, dans le langage courant, au jour du dépôt, la désignation usuelle du service consistant à proposer à la vente, lors d’événements d’une durée limitée et à un public restreint, des produits de marques en nombre limité et à très bas prix, issus d’opérations de déstockage ».

Cependant, le Tribunal va ensuite considérer que la marque vente-privee a acquis un caractère distinctif par l’usage puisqu’ « une part significative des milieux intéressés identifie la marque en cause comme provenant de la société Vente-privee.com ». Cette solution s’inscrit dans la continuité de ce qui avait déjà été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 décembre 2016[2].

Le second argument de la société Showroomprive.com portait sur le caractère frauduleux du dépôt de la marque vente-privee. Au soutien de sa demande de nullité, la société Showroomprive.com affirmait que son concurrent « qui connaissait parfaitement l’usage des termes « Vente privée » par ses concurrents, a déposé la marque litigieuse dans le but de les priver d’un signe nécessaire à leur activité ».

L’article L.712-6, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle n’envisage la fraude que dans le cadre de l’action en revendication. La jurisprudence a toutefois recours à l’adage selon lequel “la fraude corrompt tout” afin de considérer que l’enregistrement frauduleux d’une marque peut être annulé.

Selon la jurisprudence française, le dépôt doit être considéré comme frauduleux lorsque le droit de marque est détourné de sa fonction dans la seule intention de nuire aux intérêts d’un tiers en le privant intentionnellement d’un signe nécessaire à son activité.

En l’espèce, le Tribunal a considéré que la société Vente-privee.com « ne saurait s’approprier des termes génériques qui doivent rester disponibles pour tous les acteurs économiques de ce secteur et n’a aucune légitimité à monopoliser à son seul profit les termes « vente-privee », à titre de marque et à priver ses concurrents de l’usage de ces mots sauf à introduire une distorsion dans les règles de la libre concurrence ».

C’est donc au regard du caractère générique des termes « vente-privee » et de la nécessité de pouvoir les utiliser pour les opérateurs économiques du secteur que le Tribunal a retenu que la fraude était caractérisée en l’espèce.

Dans le cadre de son analyse, le Tribunal tient également compte des déclarations faites par le dirigeant de la société Vente-privee.com dans une interview de 2007 et retient que « la connaissance du caractère générique du terme et les intentions d’appropriation de ce terme par la société Vente-privee.com sont établies et même assumées par le dirigeant de cette société […] (“Si j’arrive à faire en sorte que le terme “vente privée” nous appartienne un jour, tant mieux. Je comprends qu’on puisse me le reprocher, mais c’est le jeu, chacun défend son territoire” – extrait d’une interview […]) ».

Par conséquent, le Tribunal fait droit à la demande de la société Showroomprive.com et prononce la nullité de la marque vente-privee pour dépôt frauduleux.

Reste désormais à savoir si la société Vente-privee.com entend faire appel de ce jugement et, pourquoi pas, tenter d’obtenir par ailleurs la nullité des marques Showroomprive.com… Affaire à suivre !

A noter : Suite à la transposition du Paquet marques par l’Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services, le CPI inclut désormais expressément le dépôt frauduleux au sein des causes de nullité de la marque (futur article L.711-2 11°). Pour en savoir plus sur ce sujet : voir notre newsletter dédiée !

[1] TGI Paris 3 octobre 2019 3ème chambre 1ère section

[2] Cass. Com. 6 décembre 2016 n°15-19.048 Société Showroomprive.com c/ société Vente-privee.com